10 Avril 2011
La soirée s'annonçait tranquille...
20h. Loulou avait mangé, nous allions nous installer tous les trois confortablement sur le canapé pour une petite histoire et là, je ne sais pas ce qui s'est passé (si vite) mais il s'est tortillé et a dégringolé tête la première sur le coffre en bois qui fait office de table basse.
Hurlements.
Pleurs.
Je prends l'enfant dans mes bras pour le consoler mais au bout de 10 secondes je réalise que le sang coule abondamment.
Mon sang - à moi- ne fait qu'un tour et pourtant il reste froid pour asséner les ordres à mon mari, encore sous le choc : "va chercher un gant d'eau froide", "va chercher la voisine".
Je lui aboie les ordres comme un chef cuistot à sa brigade.
Je compresse la plaie.
Le sang cesse d'abonder, les hurlements aussi.
Je regarde la plaie, béante, profonde. Je ne pensais pas qu'un si petit front pouvait être aussi profond.
La voisine, docteur, arrive. Diagnostic rapide : "il ne s'est pas raté, il faut aller aux urgences. Pensez à toutes ses affaires, il y passera peut-être la nuit."
Préparation d'un sac en 2 secs, couches, lingettes, pyjama, biberon d'eau.
Penser à son livre préféré.
Ne pas oublier doudou.
20h30. Arrivée au urgences pédiatriques. De nombreux petits bouts sont déjà là, le pansement bien visible, une autre histoire similaire... "elle est tombée dans la douche", "elle s'est rouvert une plaie soignée il y a une semaine". Ou une autre variante, peut-être encore plus terrible "elle a touché le four brûlant"...
D'autres enfants de tous les âges arrivent : des touts petits, des ados, des gamins...
L'attente commence. Va et vient du personnel hospitalier, pleurs des enfants, impatience des parents.
Mon fils, 19 mois, profite à fond de ce moment volé à la nuit. Il joue, copine avec les autres enfants, montre son doudou à tout le monde. Il me paraît imperturbable et pas fatigué pour un sou.
22h. J'ai faim, j'ai sommeil, je suis lasse de suivre Loulou partout. Les autres parents commencent à montrer des signes de fatigue. Les enfants se font examiner au compte-goutte, certains arrivés après nous passent avant.
Je me renseigne auprès d'une employée : pour les plaies, il faut attendre le chirurgien qui est au bloc. Nous passerons après les autres enfants arrivés avant nous.
23h. Ces enfants sont pris en charge, l'un après l'autre. L'intervention est rapide, je respire. Une nouvelle colle a été mise au point et les plaies superficielles sont soignées en deux temps trois mouvements.
Pas pour nous. Effectivement, Louis ne s'est pas raté. La colle ne suffit pas. Ce sera des points.
Son petit corps est allongé sur cette grande table froide. Nous sommes cinq autour de lui.
Le chirurgien, une jeune femme magnifique, sérieuse, précise.
L'infirmière, qui n'arrête pas de répéter que la jeune femme fait un travail d'artiste, contraiement à celui qui avait recousu son fils il y a 10 ans.
Un jeune interne, souriant, attentif.
Mon mari, qui garde un oeil sur l'enfant et sur
Moi-même, qui m'asseoit pour ne pas tourner de l'oeil...
Louis pleure et tente, sans grande conviction, de se débattre, de se libérer de ce masque à oxygène qui l'empêche de voir. Une piqûre lui a endormi tout le front. Il ne cesse de répéter Maman, maman et moi j'essaie de rester calme, de le caresser, de lui dire que je suis là pour lui, que tout va bien se passer. J'aimerais chanter sa berceuse préférée mais ma voix s'étrangle dans ma gorge. Je scrute le plafond pour ravaler mes larmes.
Je suis confiante en cette jeune femme que je ne connais pas, qui a travaillé dur pour en arriver là et qui maîtrise parfaitement ses gestes malgré l'heure tardive, les 4 paires d'yeux braqués sur elle et ce petit bébé qui ne cesse de gesticuler.
23h35, l'opération est terminée. Louis ne pleure plus, il se laisse porter jusqu'à la voiture, la maison, son lit.
Il est minuit quand nous nous couchons. Je sais que je n'irai pas travailler le lendemain. J'ai besoin de temps pour digérer le choc, profiter de mon fils et lui dire que tout ira bien.
Quelques jours plus tard, nous retournons à l'hôpital enlever les 2 points externes. Le travail est propre, la cicatrisation a commencé. Le pansement tombera quelques jours plus tard encore.
Si j'écris ce témoignage aujourd'hui, c'est pour plusieurs raisons :
- exorciser ce malaise et cette culpabilité que je ressens depuis 15 jours. J'ai beau me dire que c'était un accident, j'ai du mal à accepter... mais j'y travaille !
- dire aux parents que si vous devez aller aux urgences, pensez à votre confort et celui du bébé :
* de quoi l'occuper pendant les longues heures d'attente : j'ai vu plein d'enfant désoeuvrés qui ne savaient pas quoi faire
* de l'eau et de quoi manger pour vous (votre enfant n'a pas le droit de manger au cas où on l'anesthésie)
* des couches, de quoi le changer, un pyjama au cas où
- enfin, quelques idées pour le personnel hospitalier, on ne sait jamais, si quelqu'un me lit, des choses faciles à mettre en place :
* on passe du temps aux urgences à chercher de quoi s'occuper : pourquoi ne pas proposer un panneau ou un guide pratique à consulter sur place avec les gestes des premiers secours ? histoire d'attendre en s'instruisant...
* dites-nous les choses à l'inscription, par exemple : ce soir il n'y a qu'un seul chirurgien et vous êtes la quatrième personne avec une plaie. Nous estimons donc votre attente à 2/3/5 heures...
quand on sait à quoi s'attendre, ça paraît moins long.
Il y aurait certainement plein de petites choses simples à mettre en place pour faciliter la vie de tous aux urgences et limiter un stress qui plafonne déjà très haut.
Pensons-y, pour nos enfants, et pour nous-mêmes !